Le 1er mars 2015 à Jonchery-sur-Vesle
La vie est courte pour Charles Tricornot de Rose (1876-1916). Mais, dans cette courte vie, l’aviation occupe une place prédominante et la commune de Jonchery également.
Lorsqu’il arrive à Jonchery sur Vesle avec la 5e armée, Charles de Rose a une déjà solide expérience de l’aviation, comme pilote civil, puis comme détenteur du brevet n°1 de pilote militaire, créé en 1910.
Il est surtout déjà tout à la fois un théoricien du combat aérien, qui a déjà élaboré non seulement, une doctrine d’emploi, mais aussi des figures de combat. Mais il est aussi un remarquable homme de terrain, s’intéressant aussi bien aux moteurs qu’à la synchronisation du tir des mitrailleuses à travers l’hélice, sur laquelle il a travaillé, dès avant la guerre avec Roland Garros.
C’est dire que quand la guerre commence, Charles Tricornot de Rose est au cœur même de l’aéronautique militaire française naissante.
Joffre prend conscience dès la bataille de la Marne du rôle désormais primordial que peuvent jouer les aéroplanes. Sous l’influence du commandant Barès, autre grand pionnier de l’aéronautique française, Joffre fait paraître sa fameuse note du 10 novembre 1914, qui insiste sur le « devoir de pourchasser et de détruire les avions ennemis », et pour la première fois, distingue les missions de reconnaissance, de bombardement et de chasse. L’exploit du 5 octobre 1914 de Frantz et Quenault, que nous avons commémoré ici même à Jonchery, il y a cinq mois, compte beaucoup dans cette décision. Charles de Rose se trouve, tout naturellement, de par ses compétences au cœur de cette évolution stratégique comme tactique.
> C’est parce qu’il entretient d’excellents rapports à Jonchery avec le général Franchet d’Esperey que le commandant à titre temporaire de Rose obtient de Franchet, qui le sait réaliste et prudent, de transformer l’escadrille de reconnaissance, La N12, équipée d’avions Nieuport, en escadrille de chasse, montée sur des Morane-Saulnier (la MS 12). La décision est prise le 27 février 1915. Le choix du Morane-Saulnier « parasol » s’impose parce qu’il est alors le seul appareil capable d’atteindre 125km/h et donc de dépasser en vitesse la plupart des appareils allemands.
> A partir de ce moment, le rôle de de Rose est fondamental. C’est Charles de Rose qui choisit personnellement les 6 pilotes chargé de monter les appareils. On trouve parmi les 6 l’aspirant Georges Pelletier-Doisy et le caporal Navarre. De Rose souhaite des hommes décidés, à l’esprit combatif. Le 1er mars 1915, à Jonchery, le commandant de Rose réunit tous les membres de la MS12 et leur explique son choix de former la première escadrille de chasse. De Rose veut des victoires aériennes afin de prouver à l’état-major que l’aviation de chasse est une réalité qui doit être prise en compte.
> La première escadrille naît donc de la rencontre de deux volontés, celle du commandant Barès qui fait un travail de conviction auprès du GQG pour légitimer une aviation de combat, et celle du commandant de Rose, qui fort de ses nombreuses expériences antérieures, la fait vivre, ici, sur le terrain, grâce au regard bienveillant du commandant de la 5e armée, Franchet d’Esperey.
Les victoires aériennes se multiplient effectivement en 1915 et la « recette » de la 5e armée se développe dans d’autres armées.
> Renforcé par ces succès De Rose reprend son bâton de pèlerin, mais surtout son regard de technicien. Il envoie un véritable cahier des charges aux usines Morane et Nieuport. Ainsi de Rose, surveille-t-il la fabrication d’appareils véritablement dédiés à la chasse et uniquement à la chasse.
> Surtout, de manière décisive, le commandant de Rose encourage le sergent Alkan, jeune ingénieur mobilisé comme mécanicien à la MS12 à étudier un système de tir synchronisé à travers l’hélice. Alkan parvient à réaliser un tel système au début de l’année 1916.
> Les succès de Charles de Rose sont connus et l’amène à quitter Jonchery provisoirement du 26 mai au 3 juin 1915, pour commander l’aviation de la Xe armée d’Urbal lors des offensives d’Artois.
> Surtout, au moment de Verdun, de Rose reçoit les moyens de Joffre d’organiser la chasse de manière structurée et indépendante pour la première fois. Il rassemble les meilleurs pilotes qu’il fait venir de toutes les parties du front. Il leur demande d’attaquer à outrance tout avion allemand pour empêcher les observations. La doctrine de Rose s’avère rapidement efficace. Elle est appliquée le 1er juillet 1916, dans le déclenchement de la bataille de la Somme et institutionalisée par une instruction du GQG du 10 octobre 1916.
> Revenu à Jonchery, il reçoit, en avril 1916, l’ordre de remplacer la cdt Barès au poste de commandement de l’aéronautique aux armées. Mais, il n’occupera jamais ce poste. Il se tue le 11 mai 1916, en faisant une démonstration sur son Nieuport devant le général Grossetti, un des héros de la bataille de Mondement, de passage à la 5e armée.
> De Rose meurt au moment où ses idées s’imposent. La bataille de Verdun a permis de montrer les possibilités d’une aviation spécifiquement consacrée à la chasse. De Rose a parfaitement répondu au souhait de Joffre. « De Rose, je suis aveugle, dégagez moi le ciel », lui avait demandé le général en chef.
Charles de Rose aurait, sans doute, pu apporter encore beaucoup à l’aviation de chasse française.
Mais si l’homme meurt précocement et si son corps repose à Jonchery, ses idées fleurissent après lui.
C’est le plus bel hommage que l’on puisse lui rendre aujourd’hui, pour ce centième anniversaire de la création de la 1ere escadrille de chasse.
Professeur François Cochet